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Décryptage des régimes alimentaires bons pour la planète et la santé

Écrit par semo.epicerie
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1 mai 2021
Le dernier rapport du GIEC paru en août 2019 dernier expose un système alimentaire à bout de souffle. Alors que les scientifiques, les associations et divers organismes analysent et proposent des modèles pour une alimentation plus saine et durable, la société politique, médiatique et civile est en désaccord sur les choix de consommation à effectuer. Les régimes fleurissent. À qui sera le plus conscient : flexitarien, végétarien, ovo-lacto-végétarien, végétalien, végane. Et si la clé ne demeurait pas dans le choix de régime à adopter, mais plutôt, de façon plus élargie, dans le fait de repenser nos assiettes en fonction des enjeux sociaux environnementaux, de la nutrition et de la culinarité. Enquête et décryptage pour une autre vision dans l’assiette.
La consommation durable, enjeu de l’alimentation de demain

Nous resterons concentrés sur la France, car le monde est vaste et c’est d’un point de vue local qu’il faut agir tout en appliquant des politiques globales et mondialisées. Transformer le système alimentaire français est urgent et nécessaire pour répondre aux grands défis environnementaux, sociétaux et éthiques auxquels nous faisons face aujourd’hui. En changeant nos habitudes alimentaires, nous impactons notre environnement qu’il soit interne ou externe.

Mais avant d’entrer dans les détails et d’imaginer quelle serait l’assiette la plus respectueuse de la planète et de l’Homme, nous devons faire un crochet par la sociologie de l’alimentation. Car c’est elle qui nous éclaire et nous fait comprendre notre modèle alimentaire. Elle est un outil indispensable pour le mangeur d’hier, d’aujourd’hui et demain.

La sociologie alimentaire comme clé de compréhension de notre alimentation

« La cuisine d’une société est un langage dans lequel elle traduit inconsciemment sa structure, à moins qu’elle se résigne, toujours inconsciemment, à y dévoiler ses contradictions » Claude Lévi-Strauss dans l’article « Le triangle culinaire ».

Photo : Mathilde Bouterre

Claude Lévi-Strauss est l’un des anthropologues les plus connus. Son approche sur la cuisine et l’alimentation apporte une pensée intéressante pour comprendre notre système alimentaire. L’anthropologue a construit ce qu’il nomme le triangle culinaire et défend trois arguments sur ce sujet :

  • La cuisine en tant qu’activité universelle, une forme de médiation entre l’Homme et le monde qu’il habite ;
  • La cuisine comme révélateur de structures fondamentales des cultures, des rapports de l’Homme au monde ;
  • La cuisine analysée à la fois sur les caractéristiques intrinsèques des pratiques et sur les liens avec les autres dimensions de la culture.

Ainsi Homo culinarius nous sommes. « Ce n’est pas l’Homme qui crée la cuisine, c’est la cuisine qui crée l’Homme ». La sociologie alimentaire pourrait bel et bien nous aider à comprendre les grands changements sociétaux à l’œuvre.

L’histoire culinaire d’un pays, une analyse d’évolutions

Observer et analyser les tendances culinaires, c’est avant tout s’intéresser à l’Homme et la société qu’il élabore. En observant l’histoire culinaire de France, on remarque les changements de société globaux qui ont eu lieu dans notre pays. Si l’on fait le lien avec la sociologie et l’anthropologie de l’alimentation, on voit bien qu’il y a une forte corrélation entre nos modèles socio-économiques et notre façon de manger. Si nous sommes Homo culinarius, nous avons donc créé des sociétés à l’image de nos assiettes.

Remontons dans le passé. La préhistoire, le feu, Homo Sapiens créé les premières expériences autour du repas. Il est omnivore, opportuniste, végétarien ou zoophage. Depuis le Néolithique, la base de son alimentation est constituée de féculents (blé, maïs et riz). La plupart des aliments sont cuits, car la cuisson accélère le processus de digestion.

À l’Antiquité, c’est une cuisine mystique et rituelle. La sédentarisation de l’Homme a permis l’avènement de l’agriculture. Les individus se regroupent, les récoltes et l’élevage sont rationalisés même si la chasse et la cueillette restent des activités fortement pratiquées.

La Renaissance est considérée comme le passage du Moyen-Âge à l’époque moderne. Déjà héritière d’une longue tradition culinaire venue d’Italie, au milieu du XIVe siècle, la France va révolutionner les arts de la table et l’art culinaire. Un changement dans la façon de consommer s’opère pour la royauté et l’élite de la société.

L’Italie, les humanistes, la découverte de l’Amérique et un bon nombre d’événements ont une influence sur les façons de manger, de cuisiner et sur les « bonnes manières ». Les légumes longtemps méprisés reviennent à la mode, un changement qui se fait au détriment des céréales et légumes secs.

La pomme de terre fait son apparition sur les tables françaises ainsi que la tomate. Les fruits sont davantage consommés. Les grands volatiles des tables moyenâgeuses sont remplacés par le bœuf, l’agneau et le mouton.

C’est aussi l’apparition du sucre et donc des pâtisseries et des douceurs. C’est un tournant majeur qui s’opère.

L’Ancien Monde laisse place au Nouveau Monde, un bouleversement planétaire pointe le bout de son nez.

Art du Cuisinier - Antoine Beauvilliers (1754-1817)

Passons les années un peu plus vite. Nous sommes en 1900, la cuisine bourgeoise, les aspics de légumes et le rôti du dimanche sont de sorties. La Révolution industrielle est passée et l’art culinaire connaît, grâce à des illustres comme Auguste Escoffier, un vaste mouvement de simplification, d’allègement et de développement des recettes. À cette simplification se corrobore l’arrivée de l’industrie agroalimentaire avec de nouveaux aliments prêts-à-manger. En 1950, la cuisine quotidienne, la cuisine de marché demeure. Que ce soit en famille ou au restaurant, on cuisine longuement et quotidiennement au rythme des saisons des menus composés généralement de 3 ou 4 parties.

En 1968, survient la Nouvelle cuisine avec une conception plus légère, plus naturelle, plus efficace de la cuisine. À la fin des années 1990 arrive la folie de la gastronomie moléculaire. Puis, après la créativité futuriste de l’an 2000, on voit inexorablement se dessiner dans les assiettes des chefs un retour à la terre et à l’authenticité, avec le travail des légumes oubliés et des recettes traditionnelles « revisitées ». À travers cette brève histoire culinaire, on remarque les changements sociétaux qui ont été portés par de grandes tendances culinaires ou bien l’inverse, des arts culinaires qui ont mené à des bouleversements.

Une démarche durable de l’alimentation

Ainsi manger bio, local, de saison, ne suffit plus à faire de notre alimentation, une alimentation durable.

Face à la gravité de la crise climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’état de nos sols, notre prise de conscience individuelle et collective est essentielle pour changer de modèle de société.

À travers la notion « d’alimentation durable », l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) prône « des consommations alimentaires compatibles avec la protection et le respect de la biodiversité et des écosystèmes, culturellement acceptables, accessibles, économiquement équitables et financièrement abordables ; nutritionnellement adéquates, dépourvues de risques et saines ; tout en étant capables d’optimiser les ressources naturelles et humaines » (FAO, 2010).

Photo : Morgane Bouterre
Photo : Morgane Bouterre

La nécessité de passer à des régimes et systèmes alimentaires plus durables est de plus en plus évidente bien que difficile à mettre en place. Toujours selon la définition de la FAO, « la durabilité des régimes alimentaires va au-delà de la nutrition et de l’environnement pour inclure les dimensions économiques et socioculturelles ».

Alertés par la FAO, le GIEC et bon nombre de scientifiques, de plus en plus de pays ont commencé à intégrer ces considérations de durabilité dans leurs politiques alimentaires et leurs programmes d’éducation des consommateurs. Souvent mis sur le devant de la scène, l’agriculture biologique et le végétarisme sont traités comme de bons indicateurs d’une sensibilité environnementale qui se diffuserait en France. Même s’ils restent minoritaires, paradoxalement ils ne sont ni une réponse unique aux problèmes de société ni une simple tendance. En effet, ces pratiques de consommation jouent un rôle majeur de préfiguration politique.

Un régime, des régimes : décryptage du flexitarisme, végétarisme et véganisme, des régimes meilleurs pour la planète et la santé ?

La sociologie de l’alimentation, l’histoire et les tendances culinaires nous le montrent, amorcer une transition alimentaire requiert des changements majeurs de nos habitudes de consommation. Il existe une pluralité de régimes alimentaires en France.

On peut observer quatre régimes alimentaires qui se démarquent : le régime principal omnivore que nous appellerons « INCA 3 » en référence à la troisième étude individuelle nationale des consommations alimentaires réalisée en 2014-2015, le régime flexitarien, le régime végétarien et le régime végétalien.

Définitions, évolutions et tendances, que nous disent ces régimes sur la société et quel serait le meilleur régime pour la planète et la santé ?

Source : Rapport pour une transition agricole et alimentaire durable - WWF et Solagro - Octobre 2019
Le régime omnivore prédominant

À la suite des observations réalisées par l’étude INCA 3, l’assiette des Français contient une grande part d’aliments transformés et une part importante de protéines d’origine animale. Héritée de notre histoire, la valeur sociale de la viande a été réservée pendant longtemps aux classes aisées. Après la Seconde Guerre mondiale, son accès se démocratise et on assiste à une « animalisation » de nos régimes alimentaires. Depuis 1980, la part de viande dans nos assiettes n’a cessé de diminuer laissant une plus grande place au végétal. Elle reste néanmoins aujourd’hui, la dépense la plus importante dans le panier alimentaire.

D’ailleurs, au niveau de la France, on constate également une augmentation de la consommation de produits transformés. Et même si les Françaises et Français ont tendance à acheter et manger moins de viande, il n’en reste pas moins que notre pays reste l’un des plus gros consommateurs de viande au monde.

Pour finir sur l’étude de l’INCA, des disparités de comportements sont à notifier en fonction de l’âge, du sexe, du niveau d’étude ou encore de la région.

Le flexitarisme

Le flexitarisme est un régime comprenant beaucoup de fruits, de légumes et de protéines végétales, et de petites quantités de produits provenant des animaux.

Aujourd’hui, environ 8% de la population française suit un régime flexitarien.

Source : Rapport pour une transition agricole et alimentaire durable - WWF et Solagro - Octobre 2019
Le végétarisme et végétalisme

Le végétarisme, quant à lui, pose de redoutables problèmes de définition. Si le point commun de toutes les appellations, du végétarisme au véganisme, est de s’abstenir de consommer toute chair animale, d’autres restrictions peuvent entrer en jeu.

Ainsi, les végétariens auraient une alimentation aussi diversifiée que celle des « carnivore ». Si l’on observe les tendances alimentaires en France, le végétarisme s’inscrit dans certaines catégories sociales. C’est notamment un régime que l’on retrouve souvent chez les classes supérieures urbaines. Les raisons de l’adoption de ces régimes sont diverses : éthique, morale, liée à la santé, écologique, etc. Aujourd’hui 4 % de la population française suit un régime végétarien et 3 % un régime végétalien.

Avec la médiatisation récente, le flexitarisme et le véganisme ont tendance à s’opposer. En étudiant le véganisme, on s’aperçoit que celui-ci entremêle sociologie de l’alimentation, relations humains-animaux et mouvements sociaux. Le véganisme n’est donc pas un simple régime alimentaire, mais va au-delà de l’assiette. Il pourrait davantage s’apparenter à un mouvement politique, promouvant le respect des animaux et l’antispécisme. Ainsi, le régime flexitarien qui désigne le fait de réduire sa consommation de viande, contrairement au mouvement végane, s’inscrit davantage dans une rationalité en finalité. Réduire sa consommation de protéines animales est considérée comme une pratique accessible avec de multiples bénéfices.

Source : Rapport pour une transition agricole et alimentaire durable - WWF et Solagro - Octobre 2019
Source : Rapport pour une transition agricole et alimentaire durable - WWF et Solagro - Octobre 2019
Évolutions des régimes alimentaires

« Il ne suffit pas qu’un aliment soit bon à manger, encore faut-il qu’il soit bon à penser » Claude Levi-Strauss.

Claude Lévi-Strauss qui associe le « bon manger » et le « bon à penser » explique ainsi certains faits paradoxaux que nous entretenons avec l’alimentation. Si on prend le cas de la viande, qui reste une part importante dans le régime dominant des Français, nombreux sont ceux qui acceptent de manger de la viande, mais pas de l’animal. « On mange du porc et non du cochon, du bœuf et non de la vache, et surtout on ne veut pas voir l’animal vivant avant de le manger ».

Source : Rapport pour une transition agricole et alimentaire durable - WWF et Solagro - Octobre 2019

Les régimes flexitariens, végétariens et végétaliens, considérés comme davantage durables selon les critères de la FAO (voir plus haut), prennent donc une place de plus en plus importante au sein de la société française.

D’après un rapport mené par le WWF et Solagro « Pulse Fiction, pour une transition agricole et alimentaire durable » publié en octobre 2019, si l’on suit l’hypothèse d’une évolution linéaire de ces tendances d’ici 2050, « 53 % de la population pourraient avoir adopté un régime flexitarien, 26 % et 1 4% auraient respectivement un régime végétarien et végétalien et 7 % conserveraient le régime alimentaire actuelle. »

Ainsi, par cette évolution d’adoption de régimes plus orientés vers le végétal, l’empreinte carbone mesurée serait alors réduite de 43 % par rapport à celle correspondant au régime alimentaire actuel.

Ces régimes engendreraient des changements majeurs : diminution des émissions carbone, atténuation des effets du réchauffement climatique, fertilisation des sols, etc.

Source : Rapport pour une transition agricole et alimentaire durable - WWF et Solagro - Octobre 2019
Alors, quel régime alimentaire est bon pour la planète et la santé ?

Rappelons-le, la production de viande (élevage et cultures fourragères pour nourrir les animaux) représente près de 15 % des émissions de Gaz à Effet de Serre. Mais rappelons également notre sujet : trouver le régime alimentaire aussi bon pour la planète que pour notre santé.

En 2015, l’OMS recommandait de limiter la consommation de viandes rouges et de charcuterie afin de prévenir la recrudescence des maladies chroniques liées à l’alimentation en limitant la consommation de viande. Néanmoins, l’adoption d’un régime plus végétal nécessite d’être attentif à certains apports nutritionnels pour éviter les carences. La plupart des études montrent néanmoins que les régimes végétariens ont des effets positifs autant sur la planète que sur la santé. Concernant les régimes véganes, cela reste encore à prouver, le sujet n’ayant pas été assez étudié.

Le meilleur régime serait donc un mélange entre le végétarisme et le végétalisme, voire le flexitarisme ?

Photo : Morgane Bouterre
Photo : Morgane Bouterre

Reprenons d’abord l’étude de Pérignon (2015) qui avait pour objectif d’étudier la compatibilité entre un régime optimal d’un point de vue nutritionnel et la réduction des Gaz à Effet de Serre. L’étude conclut qu’une baisse de 70 % des Gaz à Effet de Serre est possible via une baisse progressive, mais constante de la viande, des fromages et des yaourts et une augmentation de consommation de fruits et de légumes, de pommes de terre, de poissons et de céréales.

L’étude de Tilman et Clark (2014) prône, quant à elle, un régime végétal de type méditerranéen ou végétarien. « Seule l’adoption d’un régime végétarien serait en mesure de diminuer les émissions totales mondiales de gaz à effet de serre en 2050 sans accroître les surfaces agricoles ». Ces régimes seraient donc les meilleures à adopter tout en ayant un effet positif sur la santé avec une réduction des taux de diabète, des cancers, des maladies cardio-vasculaires, etc.

L’analyse d’Alkeksandrowicz (2016) qui a comparé plus de 63 études et 210 scénarios d’évolution alimentaires pointe également comme les autres que le régime végétarien, méditerranéen permet une baisse des Gaz à Effet de Serre tout en conservant les terrains agricoles. Le remplacement de la viande bovine par celle de la volaille et plus globalement des protéines animales par des végétales est aussi mis en avant. Cette analyse confirme que les effets bénéfiques sur l’environnement sont systématiquement associés à des effets bénéfiques sur la santé.

Enfin, l’étude Eat Lancet (2019) recommande de doubler la consommation de fruits et légumes, de noix et de légumineuses et de réduire de moitié celle de viande rouge. Cela permettrait d’éviter 11 millions de morts chaque année dans le monde et de stabiliser les émissions de Gaz à Effet de Serre liées à la production agricole.

Conclusion, il n’y a pas de régimes meilleurs pour la santé et la planète à proprement dit. Il s’agit d’un ensemble de facteurs sociaux, politiques et structurels qui permettraient à notre agriculture et notre alimentation d’avoir un impact positif sur nos écosystèmes et notre santé. Et bien sûr, ce régime alimentaire idéal ne peut pas être uniformisé au monde. Chaque région du monde a ses spécificités, tant agricoles que sociales. Une réduction des protéines animales dans les pays souffrants de sous-nutrition causerait de graves préjudices aux populations dénutries. Et malgré tout, actuellement dans le monde, plus de personnes meurent de malnutrition (obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires) que de sous-nutrition. Ce changement de mode alimentaire passera donc vraisemblablement par l’éducation et la politique pour sensibiliser, informer et rendre accessible une alimentation durable, locale et saine nutritionnellement.