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Vers la résilience de notre société, quelques lectures de circonstance

Écrit par semo.epicerie
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1 mai 2021
Résilience. Ce mot utilisé pour parler pêle-mêle de bien-être, d’agriculture, de démocratie, d’opération militaire, de coiffure est actuellement très en vogue. Serait-il devenu en quelques semaines un terme valise employé pour définir tout et son contraire ? Nous nous sommes intéressés à ses définitions scientifiques

Bien sûr, nous parlerons de résilience alimentaire, car c’est un sujet qui nous tient tout particulièrement à cœur, mais il faut bien comprendre que sa conception scientifique va bien au-delà d’un domaine spécifique. Ce terme a été introduit en psychologie en France par Boris Cyrulnik, qui l’a défini comme étant la capacité à « reprendre un nouveau développement après une agonie psychique ». 

Il est également mentionné dans l’étude des interactions entre les sociétés et leur environnement et notamment depuis les années 1970 suite aux travaux de l’écologue C.S.Holling. Pourtant, le mot est à l’origine un terme utilisé en physique pour désignait l’aptitude d’un corps à résister à un choc. On comprend dès lors que trouver une définition consensuelle et formelle de cette résilience semble compliqué tellement son usage s’est marginalisé.

Que dit la sémantique ?

Dans « La résilience » du philosophe Serge Tisseron (2009) on lit que « cette signification est liée à la tradition anglo-saxonne. D’ailleurs, le mot français de “résiliation”, qui est très proche de “résilience”, a une signification bien différente : il s’agit de se libérer d’un contrat. 

C’est parce que les deux mots ont la même racine latine, mais que le premier en descend en ligne directe, tandis que le second en provient par l’intermédiaire d’un cousin anglais…

Le mot latin resilire, qui est à l’origine de “résiliation” et de “résilience”, est fabriqué à partir du verbe salire, qui veut dire “sauter”, et du préfixe “re” qui indique un mouvement vers l’arrière. 

D’où le sens pris par le mot en français au Moyen Âge : se rétracter, se dégager d’un contrat par une sorte de saut en arrière. 

La “résiliation” désigne ainsi le geste de se délier d’obligations préalablement contractées et de s’en libérer. Mais, parallèlement à cette évolution française, le participe présent du latin resilire – resiliens – est absorbé au XVIIe siècle par la langue anglaise qui retient du saut l’idée de la réaction après un choc : le rebond. 

Ce n’est plus le saut en arrière pour se délier qui importe, comme en français, mais l’importance du choc et le fait de reculer pour mieux sauter.

C’est naturellement ce second sens qui est privilégié lorsque le mot passe aux États-Unis. Paul Claudel, au début du XXe siècle, en parle dans les termes suivants : 

“Il y a dans le tempérament américain une qualité, qu’on traduit là-bas par le mot de resiliency pour lequel je ne trouve pas en français de correspondant exact, car il unit les qualités d’élasticité, de ressort, de ressources et de bonne humeur.” »

Une théorie ? Des théories …

En science, et notamment en socioécologie, la théorie de la résilience est fondée sur la complexité du monde, qui nous oblige à vivre des situations d’incertitudes. 

Elle désigne sa capacité à absorber les perturbations d’origine naturelle ou humaine et à se réorganiser de façon à maintenir ses fonctions et sa structure.

 

Photo : Mathilde Bouterre

Appliquée au monde de l’agriculture, les Greniers d’Abondances, association dédiée à la question de la résilience alimentaire définit celle-ci comme étant « la capacité d’un système alimentaire et de ses éléments constitutifs à garantir la sécurité alimentaire au cours du temps, malgré des perturbations variées et non prévues. La sécurité alimentaire d’un territoire est assurée lorsque « tous ses habitants ont à tout moment la possibilité psychique, sociale, économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ».

On retrouve plus ou moins la même théorie pour parler d’un territoire de résilience :

« La résilience d’un territoire est sa capacité à absorber des perturbations et à se réorganiser, de manière à ce qu’il puisse conserver les mêmes fonctions, la même structure, la même identité et les mêmes capacités de réaction (Walker, Holling, Carpenter, & Kinzig, 2004). L’observation par des scientifiques, de nombreux systèmes (communautés humaines, écosystèmes forestiers ou marins, réseaux techniques complexes, entreprises, etc.) confrontés à des perturbations majeures, a permis de mettre en évidence certaines caractéristiques qui permettent de faire face à l’adversité. C’est sur la base de ces critères que nous proposons des orientations stratégiques pour les territoires. »

Photo : Morgane Bouterre
Vers la résilience de notre société…

Face aux instabilités climatiques, économiques, politiques mais aussi aux menaces d’une intinction massive de la biodiversité, de l’épuisement des ressources naturelles, de la destruction des sols, et d’autres encore, notre système (complexe, mondialisé, et dévastateur écologiquement) doit nécessairement être repensé.

Dans une hypothèse de résilience telle que l’approche socioécologique l’entend, la nature nous indique deux voies : l’adaptation (à ce qui pourrait arriver) ou la transformation.

Nous pouvons lire dans un article paru sur le site The Conversation France à propos de la question de la résilience des sociétés que « l’adaptation désigne une réaction à un stress ou à une perturbation, qui ne remet pas en cause l’essentiel des valeurs fondamentales du système, lequel conserve ses grandes caractéristiques. La transformation découle du constat que le fonctionnement du système n’est plus tenable, que ce soit pour des raisons socio-économiques ou écologiques, et qu’il faut en changer. »

C’est clair et net ! Nous devons collectivement DÉJÀ nous adapter au monde d’après qui sera à divers égards bien menaçant (hausse des températures, insécurité alimentaire, fin du pétrole, immigrations massives, disparition de nombreuses espèces animales et végétales, tensions politiques, la liste est longue…).

L’ADAPTATION d’une part, représente donc « la mise en place ou la révision de protocoles préventifs qui permettront de mieux traverser les prochaines crises qui ne manqueront d’arriver. » C’est ce que la recherche scientifique nomme la résilience spécifique. Mais cette approche a ses limites, puisqu’elle ne prend en compte que la responsabilité individuelle. En d’autres termes, « dans cette perspective, ce sont aux victimes des catastrophes ou aux exploitants des ressources naturelles de se prendre en main et de s’organiser pour supporter les chocs que l’avenir incertain leur réserve. ». C’est bel et bien ce que l’on observe actuellement dans la prise en charge de la crise du Covid-19 : protocoles d’urgence sanitaire propres à chaque pays, mise en place de politiques de soutien aux entreprises, achats massifs de masques, reconversion de certaines industries, recherche d’un vaccin, etc.

Photo : Morgane Bouterre
Photo : Morgane Bouterre

L’autre voie consiste à TRANSFORMER (on parle de résilience générale) le système dans son ensemble en ayant une vision plus large sur les fondements même de la gestion et de l’exploitation de nos environnements.

Pour parvenir à cette résilience, plusieurs stratégies doivent être engagées :

  • Maintenir la diversité sous toute ses formes (génétique, espèces, paysages, groupes culturels, styles de vie, règles de gouvernance …) ;
  • Garantir la connectivité au sein et en dehors des systèmes socioécologiques. Plus la connectivité est élevée plus l’information entre groupes sociaux circulent facilement ;
  • Savoir anticiper les processus lents qui participent à la régulation des écosystèmes ou du climat pour éviter le jeu des rétroactions qui dérégule le système en question ;
  • Favoriser la réflexion à l’aune d’approches interdisciplinaires ;
  • Encourager les processus d’apprentissage et d’expérimentation, élargir les participations citoyennes ;
  • Promouvoir une gouvernance polycentrique autrement dit, « faire correspondre les niveaux de gouvernance à ceux où se situe le problème ».
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C’est bien de cette résilience dont notre système a besoin, pour nous, pour la nature et pour notre relation avec elle. Cette nouvelle société doit nécessairement être pensée en respectant les non-humains, l’écologie et ses processus, les humains aussi. C’est une véritable construction que nous devons entamer, bâtie sur de nouvelles bases. Prenons conscience que ce ne sera pas facile, les stratégies et choix à opérer ne sont pas tracés d’avance.

Et d’ailleurs, ce n’est pas simple de déconstruire ses propres schémas, alors une société tout entière, n’en parlons pas… Ce choix de transformation, de résilience générale, nous l’avons tous et toutes entre nos mains.

N’attendons pas qu’untel le prenne pour nous ! Comme le dit le philosophe Bruno Latour « chacun et collectivement, nous devons faire l’inventaire de ce qu’il convient de conserver ou de modifier. »

Et maintenant les lectures et autres contenus

 

Sources : 

Photo : Mathilde Bouterre