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Vers une agriculture et une alimentation durables…

Écrit par semo.epicerie
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30 avril 2021
L’alimentation revêt une dimension à la fois individuelle (subvenir à ses besoins vitaux) et collective (acte éminemment social et culturel). La question de l’alimentation a toujours fait partie de nos sociétés humaines et présente, au travers des civilisations, plusieurs facettes : nutritionnelle, économique, patrimoniale, culturelle, sanitaire, politique, environnementale, etc. Une population humaine grandissante accroît, par la même occasion, la pression sur les enjeux liés à l’alimentation.

 

Déclin de la biodiversité

Février 2019, la FAO dresse un constat sans appel dans son premier rapport mondial (1) sur l’état de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture. Nous pouvons y lire : « Le premier rapport du genre sur l’état de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture présente des preuves de plus en plus tangibles et inquiétantes que la biodiversité qui sous-tend nos systèmes alimentaires est en train de disparaître, menaçant gravement l’avenir de notre alimentation, de nos moyens de subsistance, de notre santé et de notre environnement. Une fois perdue, la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture — c’est-à-dire toutes les espèces qui sous-tendent nos systèmes alimentaires et soutiennent les personnes qui cultivent et/ou produisent notre nourriture — ne peut plus être récupérée. »

Et le Directeur de cette organisation mondiale, M. Graziano da Silva, d’ajouter que « moins de biodiversité signifie que les plantes et les animaux sont plus vulnérables aux parasites et aux maladies. En plus de notre dépendance à l’égard d’un nombre décroissant d’espèces pour nous nourrir, la perte croissante de la biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture met en péril notre sécurité alimentaire déjà fragile ». D’ailleurs, de nombreuses espèces contribuant aux services écosystémiques essentiels à l’alimentation et à l’agriculture, notamment les pollinisateurs, les organismes du sol et les ennemis naturels des parasites, disparaissent rapidement.

Impact carbone

En parallèle, nos systèmes alimentaires ont une empreinte carbone colossale. Pour preuve, le taux d’émissions de gaz à effet de serre situé entre 15 et 30% émis par le seul secteur de l’agriculture et de l’alimentation — du champ au traitement des déchets — des pays développés (chiffres variant selon les analyses). (2)

Une sécurité alimentaire en péril

Le sommet mondial de l’alimentation de 1996 considère que la « sécurité alimentaire est assurée quand toutes les personnes, en tout temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leurs préférences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et saine ». Cette sécurité alimentaire est en péril. Pour preuve, plus de 820 millions de personnes n’ont toujours pas accès à suffisamment de nourriture, et près de 2.4 milliards de personnes surconsomment. Au total, environ la moitié de la population mondiale consomme un régime alimentaire en carence de nutriments.(3)

Photo : Mathilde Bouterre

L’agriculture intensive : un modèle qui montre ses limites

 

Les sols et les intrants

L’agriculture intensive, instituée suite à la Seconde Guerre Mondiale, a provoqué de profonds bouleversements. Les intrants chimiques — ensemble de produits épandus sur le sol pour accroître le rendement d’une culture, soit en améliorant la qualité de la terre (engrais, amendements, etc.), soit en éliminant les ravageurs ou les plantes indésirables (pesticides, fongicides, herbicides, etc.) — ont gravement nuit aux écosystèmes des campagnes et ont engendré la pollution des cours d’eau et des nappes phréatiques. En démontre, le déclin des populations d’insectes. En trente ans, elles auraient chuté de 80% nous apprend une étude internationale parue en octobre 2018 dans la revue PLoS One.(4)

 

Et par voie de conséquence, les populations d’oiseaux des champs déclinent également comme le constate une étude menée par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et le CNRS, parue le 20 mars 2018.  Les résultats de deux réseaux de suivi d’oiseaux sur le territoire français évoquent un phénomène de « disparition massive », « proche de la catastrophe écologique ». (5)

Les pesticides et plus largement l’intensification des pratiques agricoles sont les facteurs principaux de ces déclins.

L’état des sols n’est pas en reste. Les techniques culturales actuelles dégradent directement les terres ce qui conduit à une baisse de rendements généralisée à travers le monde.  L’arrivée massive des engrais chimiques utilisés dans l’armement de la Seconde Guerre Mondiale et plus largement, les pratiques agricoles intensives — monocultures, spécialisation des cultures, remembrement, engins de plus en plus lourds — ont conduit à dégrader les sols, à les appauvrir en matière organique et à les minéraliser.

« Les techniques culturales actuelles ne sont pas adaptées aux sols, dans la mesure où elles ont fait disparaître en 50 ans la moitié de la teneur en matière organique des sols. Conséquence : le sol a perdu sa fertilité. Et les agriculteurs sont condamnés à utiliser des fertilisants pour atteindre d’importants rendements. […] La lourde mécanisation, en tassant les sols, a diminué la porosité, c’est-à-dire l’entrée de l’air dans les sols, autre facteur de dégradation. » Claude et Lydia Bourguignon, spécialistes internationaux des sols, fondateurs du LAMS – Laboratoire d’analyse microbiologique des sols. (6)  

L’élevage

L’élevage intensif fait des ravages. 14,5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) mondiales proviennent de l’élevage. 65% d’entres elles sont dues au seul élevage bovin (viande et produits laitiers). L’élevage bovin et la production de soja nécessaire à l’alimentation animale et à l’exportation sont responsables de 63% de la destruction de la forêt amazonienne brésilienne. (7) Ce secteur pèse plus lourd que celui des transports. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) stipule clairement la nécessaire diminution de consommation de produits animaux et ce, surtout dans les pays développés.

Photo : Mathilde Bouterre

La pêche

Près du tiers des stocks de poisson sont surexploités et plus de la moitié ont atteint leur limite de résistance. 60% des stocks sont exploités pleinement. En tout, ce sont près de 171 millions de tonnes de poissons qui ont été pêchées/ produites en 2016, dont 47% provenant de l’aquaculture. Il faut en moyenne 5kg de poissons sauvages pour produire 1 kg de farine, base de l’alimentation des poissons d’élevage. Dans les filets de pêche sont attrapées près de 30 millions de tonnes de poissons. Des poissons qui finiront morts et rejetés dans la mer sans être commercialisés ni consommés. (8)

Le bien-être animal

La FAO estime à 60 milliards le nombre d’animaux tués chaque année dans le monde. Les estimations grimpent à près 140 milliards d’animaux en comptant toutes les espèces. Les conditions d’exploitation et d’abattage sont loin de prendre en compte le bien-être de l’animal. L’association L214 révèle, depuis plus 10 ans, toutes sortes de scandales devenus monnaies courantes dans de nombreux sites d’exploitations et d’abattages français.

Un métier sous pression

La filière française de l’élevage fait face depuis plusieurs années à une crise économique et sociale sans précédent. En 2010, la surmortalité par suicide des producteurs de lait et des éleveurs bovins masculins s’élevait à 52%. (9)

À cela, s’ajoute les risques encourus par les agriculteurs utilisant des produits phytosanitaires. Une récente étude, publiée lundi 18 mars 2019 par la revue International Journal of Epidemiology, a calculé le surrisque de lymphome pour les agriculteurs utilisant ces substances, par rapport à ceux n’y ayant pas recours. Ce sont deux pesticides, terbuphos et la deltamethrine, et un herbicide, le glyphosate qui augmentent le plus les risques de lymphomes non hodgkiniens chez les agriculteurs.(10)

Une souveraineté alimentaire compromise

Autre constat sans appel, celui des conséquences du monopole des semenciers industriels, de l’hybridation des semences et de leur standardisation qui ont conduit à faire disparaître, selon la FAO, 75% des variétés de semences comestibles en seulement un siècle. Depuis 12 000 ans, les paysans sèment, sélectionnent et échangent librement les graines. La moitié du marché des semences mondiales est contrôlée par une poignée de multinationales, toutes issues de l’industrie pétro-chimique.

Nous sommes dans un monde standardisé, et notre alimentation le devient peu à peu. « 75 % de l’alimentation mondiale est générée par seulement 12 plantes et 5 espèces animales. Près de 60 % des calories et protéines végétales consommées par l’humanité ne proviennent que de 3 céréales : le riz, le maïs et le blé ». (11)  

Des effets délétères sur la santé humaine

En 40 ans, les cas d’obésité chez l’enfant et l’adolescent ont été multipliés par dix. En 2030, le diabète, maladie directement liée à l’alimentation, sera la 7ème cause de mortalité dans le monde. L’OMS révèle la relation existante entre l’alimentation, la pratique d’une activité physique et les principales maladies chroniques liées à la nutrition : obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires, plusieurs formes de cancer, l’ostéoporose, pour n’en citer que quelques-unes. (12)

Photo : Mathilde Bouterre

De plus en plus de gaspillage

Nous n’avons jamais autant produit d’alimentation, et jamais autant gaspillé. La FAO affirme dans son rapport faisant état des pertes et des gaspillages alimentaires dans le monde qu’environ « un tiers de la part comestible des aliments destinés à la consommation humaine est perdue ou gaspillée, ce qui équivaut  à environ 1,3 milliards de tonnes par an. »

Toute la chaîne alimentaire est ainsi concernée par ce constat. De la production à la consommation finale, les pertes et les gaspillages sont considérables. Dans les pays à revenu moyen et élevé, les denrées alimentaires sont jetées même dans les cas où elles sont encore propres à la consommation. (13)

Et bientôt, les océans contiendront plus de plastique que de poissons…

8 millions de tonnes de plastique finissent dans l’océan chaque année. Plus de 80% de cette pollution provient des terres. (14) Le plastique a envahi les océans. Des micro-plastiques ont même été détectés dans les intestins de micro-organismes vivant au plus profond des océans. Aucune zone n’est épargnée, selon une étude publiée le 27 février 2019 dans la revue Royal Society Open Science. Celle-ci dénombre à 51 000 milliards la quantité de morceaux de plastique dans les océans. 90 % d’entre eux seraient des micro-plastiques impossibles à récupérer. Mais surtout, l’effet de ces micro-plastiques sur les écosystèmes marins est encore méconnu des scientifiques. Ces résultats présupposent que la chaîne alimentaire est contaminée. Sans nous en douter, nous ingérons le plastique que nous produisons. (15)

Les germes de notre engagement

Mais alors, comment nourrir le monde dans la perspective du XXIe siècle ? La FAO estime que la production alimentaire mondiale devrait croître de 60% d’ici 2050 pour nourrir une population de plus de 9 milliards d’individus.

Nous faisons face à un défi énorme : fournir à une population grandissante un régime alimentaire sain bâti sur des systèmes de production résilients. Il est urgent de transformer radicalement notre modèle de production et par voie de conséquence nos pratiques alimentaires.

Notre engagement s’inscrit dans cette démarche de transformation radicale. Nous souhaitons mettre en lumière celles et ceux qui oeuvrent pour opérer cette nécessaire transition. Nous souhaitons dévoiler leur travail, clamer leur message. Nous revendiquons les fondamentaux d’une alimentation durable telle que la définit la FAO : « des consommations alimentaires compatibles avec la protection et le respect de la biodiversité et des écosystèmes, culturellement acceptables, accessibles, économiquement équitables et financièrement abordables ; nutritionnellement adéquates, dépourvues de risques et saines ; tout en étant capables d’optimiser les ressources naturelles et humaines ».

Cette transition est déjà en marche. Partout dans le monde, de la semence à l’assiette, des initiatives germent, éclosent et n’attendent qu’à être disséminées. Appuyées par des recherches scientifiques, nous souhaitons semer des histoires de transition réussies et défendues fièrement. Créer un récit positif pour féconder la graine de l’engagement que chacun.e porte en soi nous est essentiel.

La semence, bien commun du vivant

Tout part de là ! Sans elle, aucune agriculture, aucune alimentation possible. Face aux industries semencières, des organisations militent à travers le monde pour dénoncer cet accaparement du vivant. Elles réclament le droit de semer, de sélectionner et d’échanger librement des semences libres de droit et reproductibles comme le fait la célèbre activiste indienne Vandana Shiva ou encore l’association Kokopelli.

Une agriculture coopératrice du vivant et de l’Homme

Nous pourrions parler de transition agriculturelle tant le défi est immense. Au-delà de la transformation des pratiques agricoles, cette transformation implique de nécessaires changements de consommation et d’organisations sociales. Seul mot d’ordre : la résilience !

Dans son ouvrage de 1983, L’Agroécologie. Bases scientifiques d’une agriculture alternative (16), le chercheur américano-chilien Miguel Altieri présentait 4 modèles durables susceptibles de réconcilier la production alimentaire et la préservation du vivant.

Photo : Mathilde Bouterre

L’agriculture traditionnelle paysanne, telle que continuent de la pratiquer quelques peuples autochtones, l’agriculture biologique, les systèmes d’agroforesterie, associant arbres et cultures, et l’agriculture de conservation qui respecte les rythmes naturels du sol. Parallèlement à ces pratiques, d’autres modèles s’expérimentent à travers le monde. C’est le cas de la permaculture. En France,  la Ferme du Bec Helloin en Normandie fait cas d’école. Elle est devenue le terrain d’expérimentation d’études scientifiques qui ont réussi à prouver la capacité d’un tel modèle à répondre au rendement tout en préservant et restaurant un écosystème vivant. Le modèle de micro-fermes agro-écologiques pourrait donc répondre à ce défi, si leur nombre augmente. C’est pourquoi, l’association SOL a lancé le projet Biofermes en partenariat avec de nombreuses associations, pour favoriser la création et le maintien de petites fermes françaises.

« Si on généralise l’agro-écologie sur la planète, en dix ans on double la production alimentaire des nations, en réduisant la pauvreté rurale et en apportant des solutions au changement climatique. » Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation entre 2008 et 2014.(17) 

À ce propos, l’IDDRI a publié en septembre dernier un scénario d’alimentation durable qui permettrait de nourrir les 530 millions d’européen en 2050. Partant de l’hypothèse de généraliser l’agroécologie à l’échelle européenne, d’abandonner les importations de protéines végétales et d’adopter des régimes alimentaires plus sains, ce modèle conduirait à une baisse induite de la production de 35% par rapport à 2010 (en Kcal). Par contre, il permettrait de nourrir sainement les Européens tout en conservant une capacité d’exportation, de réduire l’empreinte alimentaire mondiale de l’Europe, de conduire à une réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole de 40 % et de permettre de reconquérir la biodiversité et de conserver les ressources naturelles. (18)

D’autant plus qu’une étude comparative menée par WWF France et Eco2 Intiative établit qu’un régime flexitarien répond aux besoins d’une alimentation équilibrée et réduit l’empreinte carbone par rapport au régime alimentaire actuel en France. « Il est nécessaire de réduire fortement les protéines animales et d’augmenter les alternatives végétales et notamment les céréales, les féculents, les légumineuses et les noix et oléagineux ».  (19)

Photo : Mathilde Bouterre

Des citoyen.nes éclairé.es et engagé.es

Citoyen.nes, entrepreneurs.es, élu.es, jeunes et moins jeunes, nous avons toutes et tous un rôle à jouer ! Déjà, en modifiant nos régimes alimentaires. Les consommateurs devraient être en mesure d’opter pour des produits cultivés de manière durable ou de boycotter les aliments considérés comme non durables. Pour cela, ils doivent bénéficier d’informations claires et transparentes. Ces choix de consommation devraient pouvoir être facilités et encouragés pour les ménages par des aides et des soutiens financiers.

Et puis, il est impératif d’apprendre ou réapprendre à nous nourrir en fonction de nos véritables besoins nutritionnels. Cuisinons, et cuisinons à plusieurs pour créer du lien intergénérationnel, pour cultiver l’altérité.

Mais aussi, militons pour faire changer les modèles de distribution alimentaire et de rétribution des agriculteur.rices. Développons la distribution en circuit court, réapproprions-nous la production de NOTRE alimentation. Pour cela, de nombreux verrous doivent être enfoncés. C’est là que les politiques publiques ont un rôle à jouer. La municipalité de la ville de Grande-Synthe qui tend à relocaliser la production alimentaire à l’échelle locale en maraîchage biologique nous montre que c’est possible. Citons aussi l’exemple de l’expérimentation menée dans le Lot-et-Garonne au sein de l’éco-village Tera qui cherche à relocaliser à 85% la production vitale à ses habitants, tout en abaissant l’empreinte écologique à moins d’une planète.

Et là encore, nous parlons de transformation culturelle, car de tels défis ne pourront se relever sans de profondes métamorphoses de nos modèles d’organisations et de fonctionnement.

N’oublions pas nos générations futures…

Futures et présentes. Nous vivons déjà dans un monde en bouleversements majeurs. Il est plus que temps d’agir. Ces enjeux de transition écologique ne devraient plus être occultés de l’éducation. Apprenons, dès le plus jeune âge, ce qu’est le vivant. Comprenons que nous en faisons intégralement partie. Apprenons à coopérer avec lui. Pour cela, prenons l’exemple de la Forest School, un modèle d’éducation en extérieur, pratiqué dans de nombreux jardins d’enfants des pays Scandinaves depuis plus de 40 ans. Un modèle dans lequel l’enfant expérimente, apprend, joue dans la nature. Une forme d’éducation qui semble guider l’être humain vers son épanouissement personnel et social, comme le démontre cette étude publiée par l’Université de Hong Kong et l’Université d’Auckland en Nouvelle-Zélande : « les enfants qui entretenaient un lien plus étroit avec le vivant étaient moins anxieux, moins hyperactifs et présentaient un comportement prosocial. » (20) Ainsi, réapprivoiser ce lien intime avec notre nature sera sans doute l’enjeu de notre siècle.

Sources :