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La viticulture en France : entre enjeux climatiques et production de vin durable, quel avenir pour la filière viticole ?

Écrit par semo.epicerie
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31 juillet 2021
Le vin, cette boisson ancrée dans le patrimoine français. Ce savoir-faire séculaire, ces cépages et ces grands domaines renommés. Le vin en France, c’est tout une histoire. Une histoire de femmes et d’hommes, qui depuis des millénaires, élaborent avec passion une boisson unique aux multiples facettes. Mais cette histoire, peut être que dans quelques années se verra transformée et prendra un nouveau tournant. Car la viticulture, comme l’agriculture et comme nombre chose est en danger certain, face aux dérèglements climatiques en cours. Puis la viticulture représente aussi l’un des secteurs agricoles détruisant le plus les écosystèmes ; à coût d’intrants chimiques et de ravages aux pesticides et fongicides. Certain.es se battent, se réinventent, une filière plus durable grandit d’année en année, mais est-ce suffisant pour s’adapter aux changements à venir ? Quel est le visage de la viticulture française aujourd’hui ? Comment se compose-t-elle ? Et quel sera son avenir ? La viticulture française, entre enjeux climatiques et production de vin durable, enquête.
Chiffres clés et constats climatiques autour de la viticulture française

Le vin est la boisson la plus consommée en France (1,3 verre de vin par jour et par habitant) et la France produit 16% du vin de la planète. La filière représente 558 000 emplois directs et indirects et 17 régions sur 22 sont productrices de vins. 1 exploitation agricole sur 5 a une activité vitivinicole.

 

Mais le vin, tout comme les autres denrées alimentaires et l’ensemble de la production sont soumis aux évolutions du climat. Les scénarios proposés par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernementales sur l’évolution du climat) prévoient d’ici la fin du 21eme siècle une augmentation de la température moyenne pouvant aller de 2 à 5° avec des variations. Cette augmentation de température va s’accompagner d’événements climatiques extrêmes comme des vagues de chaleur, des pluies intenses, etc. qui devraient s’accroître. On appelle cela les boucles de rétroactions. Par ailleurs, le GIEC met en exergue qu’avec une hausse limitée à + 1,5° (enjeux des COP), nous devrions tout de même voir des impacts sur tous les secteurs socioéconomiques ainsi que les écosystèmes terrestres et marins. Ainsi la vigne est directement liée à ces évolutions, et même s’il s’agit de projection, on peut déjà voir les impacts du réchauffement climatique sur cette filière. Même si les professionnels du secteur arguent que le vignoble français ne sera pas amené à disparaître, beaucoup s’inquiètent d’ores et déjà de la situation préoccupante.

Preuve en est, les vendanges 2020 ont été historiquement précoces après l’un des printemps les plus chauds du siècle. Sur tous les terroirs viticoles français, l’avancée de la végétation à obliger d’avancer la date du début des vendanges de deux à quatre semaines.

 

« C’est historique ! Mon père et mon grand-père n’ont jamais connu ça ! Vendanger juste après le 15 août, on n’a jamais vu ça. On paye le changement climatique. Mais, avec la sécheresse du mois d’août, on a perdu 25 % du volume. »

Photo : Morgane Bouterre

Bien entendu, le réchauffement climatique n’est pas forcément la seule cause de cette précocité de vendange, cela peut également venir des cépages, des sols, etc. Mais on ne peut pas omettre que le dérèglement climatique est une des plus grandes causes. Les saisons étant moins marquées, la vigne se développe plus tôt et pousse plus rapidement. Les bourgeons qui apparaissent fin mars plutôt que fin avril la rendent plus vulnérable.

Les vigneron.nes s’adaptent déjà à ces changements, mais jusqu’à quand pourront-ils être résilients en adoptant les mêmes pratiques viticoles ? Jusqu’à quand les cépages pourront résister à ces dérèglements ?

La filière bio et la production de vins vivants en progression

La viticulture conventionnelle fait certes face au dérèglement climatique et va devoir s’adapter, mais cela est sans compter son impact sur les écosystèmes. Ne faudrait-il pas revoir ce modèle ?

Après la seconde guerre mondiale, l’agriculture et la viticulture s’inscrivaient dans un contexte de défi alimentaire et la France devait relancer la machine de production. Augmenter les rendements, augmenter la productivité, etc. Tout cela a eu pour effets de détruire les milieux naturels via l’utilisation massive de produits agro-pharmaceutiques. Parallèlement a ces effets sur les écosystèmes, l’utilisation massive de pesticides, insecticides et fongicides chimiques causent à termes des problèmes de santé sur l’humain.  

Photo : Morgane Bouterre
Photo : Morgane Bouterre

Alors, la viticulture bio s’installe petit à petit dans les terroirs, le label AB fleurit sur les étiquettes des bouteilles et la reconversion des domaines s’accroît d’année en année. En 2018, on comptait plus de 94 000 hectares (près de 12% de la surface agricole utile) consacrés à la production biologique, une progression de plus de 20% en un an. L’engouement pour le bio se ressent autant dans l’assiette que dans le verre, et en 2018, les surfaces en conversion ont augmenté de 63%.

Finis l’utilisation d’intrants chimiques, la vinification respecte l’intégrité du produit, le label AB est rigoureux mais pour certains fervents du bio, il ne suffit pas. « Des bios opposés au label AB, s’estimant dépossédés du bio accaparé par un label monopole accusent la standardisation du bio, la stratégie du bio label, qui va définir ce qui est bio comme quelque chose de conforme à un standard que l’on peut optimiser, prive de la richesse de la diversité ». 

Le vin naturel ou vin nature connaît lui aussi un essor depuis quelques années. Isabelle Legeron MW, auteure de Vin Nature et l’une des plus grandes spécialistes mondiales du du sujet, désigne par vin naturel « un vin de domaines conduits en agriculture biologique, au minimum, qui vinifient sans ajouter ni retirer quoi que ce soit. Certains vignerons ajoutent une larme de sulfite tout au plus au moment de mettre en bouteille, et même si elles ne sont pas purement naturelles, ces cuvées peu interventionnistes font parties de la famille des vins natures au sens un peu plus large du terme. ».

Les consommateurs recherchent de plus en plus de qualité, d’authenticité et de durabilité. Les vins sans sulfites connaissent un fort développement car ils sont respectueux du terroir et de la santé. Ainsi, de plus en plus de vigneron.nes s’orientent vers la production de vin bio, naturel et biodynamique.

Mais pour d’autres il ne s’agit pas forcément de répondre à l’appel des consommateurs mais plutôt affirmer sa propre vision éthique. C’est le cas de Laure & Julien, vignerons dans l’Hérault, que nous sommes allées rencontrer pour notre podcast.

La viticulture en 2050 : recherches et perspectives

Quel goût aura le vin en 2050 ? Quel visage aura la viticulture ? Plus concentré, moins acide, plus riche en alcool, notre vin rouge aura un tout autre aspect à l’horizon du demi-siècle. Le projet Laccave, porté par l’INRAE depuis 2012 se déroulant en deux phases, vise à renforcer l’échange de connaissances entre les équipes de l’INRA dans différentes disciplines les inscrivant dans une démarche de prospective à l’horizon 2050. Il s’appuie sur une vision globale de l’ensemble de la chaîne technique et de la valeur du vin, et permet de repérer et analyser les différentes formes d’impact du changement climatique et déceler des leviers d’adaptation possibles.

Photo : Mathilde Bouterre

Ainsi, les scientifiques du projet ont mené une prospective à l’horizon 2050 pour construire un cadre de réflexion commun. Les différentes recherches menées ont surtout mis en avant les impacts du changements climatiques sur les aspects physiques et biologiques de la viticulture

Les scientifiques ont mis en exergue dans leur prospective les leviers d’adaptation possibles. En voici la synthèse.

Mais il s’agit d’une prospective, comment être sûre que les effets du changements climatiques ne seront pas plus grands ? Comment conserver le patrimoine culturel du vin français en adaptant drastiquement les techniques viticoles ? Afin d’alerter sur l’impact du changement climatique, le laboratoire Labexcell a conçu en 2018 un vin censé avoir le goût du Bordeaux en 2050, en vinifiant des jus provenant de Tunisie et du Minervois. Ce vin a pu être dégusté lors de la COP24. Par cette action quelque peu déroutante, le laboratoire et l’association des journalistes de l’environnement qui en était l’instigatrice, ont voulu interpeler et militer pour un changement majeur, notamment chez les viticulteurs bordelais.